Pour ceux qui l’ignore encore, je suis professeur d’éducation physique depuis 35 ans et j’observe, dans mon métier, les mêmes principes réductionnistes que ceux qui sont à l’œuvre en médecine et en agriculture. Cela m’a conduit, dans un premier temps, à proposer une approche écologiste afin de promouvoir une autre façon de comprendre la vie et, ainsi, une autre façon de concevoir le soin.
La démarche écologiste ayant un caractère universel, elle peut également s’appliquer à la compréhension d’une démarche (...)
Depuis sa parution, ce nouvel opus de Christian Portal me fait l’effet d’un parasite entré par inadvertance dans mon nez : cela me fait éternuer ! Je vais donc prendre le temps de me moucher…
Pour commencer, je trouve le postulat simpliste et caricatural.
Au fil du temps, l’éducation physique s’est tournée essentiellement sur l’activité sportive. L’institution, et nombre de professeurs avec elle, a tenté de justifier cette démarche en considérant que les objectifs éducatifs seraient atteints par l’enseignement d’activités sportives, pratiquées avec une « autre » éthique. Ce que serait cette autre démarche n’a jamais été bien formalisé, si ce n’est que l’objectif ne devait jamais être celui habituellement dédié à l’activité sportive, c’est-à-dire celui d’une valorisation de l’ego pour l’athlète, l’équipe, l’entraîneur ou les parents.
Ainsi le sport n’est qu’un duel physique qui ne laisse de place qu’au vainqueur : voilà une vision bien réductrice. Dans cette optique, le prof d’EPS chronomètre, classe, hiérarchise, récompense le vainqueur et stigmatise le perdant. Heureusement, le sport dépasse largement le cadre minimaliste que veut bien lui prêter notre cher Christian.
Le sport peut être appréhendé sous un angle autonome, indépendant de toute récupération pédagogique. Il est intrinsèquement porteur d’un « éthos », une manière d’être et de penser consubstantielle au sport, et d’un « savoir », un ensemble de gestes à la fois transmissibles et contextualisés. Faire du sport, c’est apprendre ces gestes pour évoluer dans un système de règles communes pré-établies. Enseigner le sport, c’est donc aider un sportif à évoluer dans ce système en s’y adaptant. Comme dans une société au sens large. (Crozier et Friedberg, 1977).
1) Le sport comme un répertoire de gestes techniques vecteur d’apprentissage moteur
Selon une conception écologique de l’apprentissage l’action est indissociable du contexte dans lequel elle émerge, on parle du couplage perception-action (Berstein, 1967). Apprendre c’est donc rechercher une réponse adéquate au problème posé par l’environnement. Dans cette optique, la pratique sportive, en contrariant l’environnement, oblige le pratiquant à s’adapter. Le geste technique prend alors du sens puisqu’il répond à une situation précise. Par exemple, un amorti au badminton est une réponse adaptée lorsque l’adversaire est au fond du terrain, puisque l’objectif est de faire toucher le volant sur le sol pour marquer le point. Il ne s’agit pas d’apprendre le geste pour le geste, mais bien de l’apprendre pour sa pertinence dans la situation donnée.
Voilà pourquoi le financement de tant de professeurs et de matériels pour apprendre des techniques de basket-ball, de rugby ou d’escalade se justifie, il apprend à ajuster ses conduites de façon plus adaptée à l’environnement spatial et humain . Le sport, par sa nature propre, est donc vecteur d’apprentissage moteur.
2) Le sport comme système de règles vecteur d’apprentissage social
Au delà du champ de possibles qu’il offre en terme d’apprentissage moteur, le sport est un vecteur pertinent d’apprentissage social, puisqu’il régule les relations humaines grâce aux règles communes du jeu. Accepter un cadre social, y trouver sa place, lui donner du sens…voilà un challenge à relever quand on enseigne le sport. Plutôt que d’aseptiser le milieu, en proposant un contexte apaisé de toute tension sociale, le sport plonge chaque acteur dans un système complexe, qui nécessite une adaptation. Pour s’inscrire dans le jeu sportif, l’acteur doit transformer sa conduite. Cette transformation ne va pas de soi évidemment. Chaque élève tente de trouver sa place sociale, son rôle, tente de comprendre que l’absence de règle empêche le jeu, et comprend que réguler est incontournable pour vivre en société. En cela, le sport est un levier pertinent. Par exemple, au basket, si la règle du non contact est absente, le jeu se transforme vite en empoignade générale, et le jeu disparaît. En euphémisant la violence (Elias et Duning, 94), le sport permet l’apprentissage. Les règles communes du sport régulent les relations, répartissent les rôles, gèrent les marges de liberté de chacun au sein du système sportif.
Pour résumer et conclure, je pense que le sport est pertinent pour éduquer physiquement puisqu’il place l’acteur dans un environnement contraint et librement choisit, dans lequel il tente de se bonifier en puisant dans un répertoire de gestes et d’attitudes transmises de génération en génération. Apprendre c’est s’adapter et le sport permet d’y parvenir.